mercredi 21 septembre 2011

Running Man de Stephen King


La dictature et les jeux : la Rome antique avait ses gladiateurs... Les États-Unis, en cette année 2025, ont le Libertel, arme suprême du nouveau pouvoir. Émission vedette de la chaine unique : « La Grande Traque ». Et le peuple, les yeux rivés sur le petit écran, regarde la mort en direct.
Chômeur, comme tant d'autres, Ben Richards s'est engagé dans la compétition. Commence alors le compte à rebours... Pendant trente jours, Ben devra fuir les tueurs lancés à ses trousses. Le jeu n'a pas de règles, tous les coups sont permis. La foule participe, dénonce, s'acharne : la prime est alléchante...
Hallucinante course contre la peur, la délation, la mort.
D'autant plus terrifiante que la fiction d'aujourd'hui est peut-être l'histoire de demain...

On peut aisément avoir un sourire gêné à la lecture de ce résumé trouvable au dos d'une ancienne édition de poche, tant les dernières lignes dépassent leur statut de conclusion choc pour devenir une véritable sentence prophétique à l'aune du paysage médiatique actuel. Au sein d'une bibliographie aussi foisonnante que celle de Stephen King, Running Man n'est pas à proprement parler une œuvre majeure. Elle mérite pourtant qu'on s'y attarde tant ce roman pétri de qualité, s'avère une œuvre avant-gardiste intelligente et perspicace tout en offrant un récit incroyablement haletant.

Récit de jeunesse publié initialement sous son pseudonyme Richard Bachman, Running Man boxe dans un genre peu familier de l'auteur plus enclin à nous terrifier qu'à nous secouer quant à la situation et l'évolution de notre société. C'est d'ailleurs un trait commun avec d'autres œuvres écrites sous son pseudo tel que Chantier, Marche ou Crève (dont le contexte très proche de celui de Running Man peut facilement laisser penser que ces deux histoires se déroulent dans le même univers) ou bien encore Rage. Alors que le lecteur est plus habitué à découvrir une histoire de monstre au sein d'une petite ville du Maine, voilà que King nous décrit ici une société au bord de l'explosion. Sous un vernis craquelant de démocratie, nous découvrons une dictature portée par une élite bourgeoise qui arrive à manipuler le peuple grâce à la télévision ironiquement renommée le Libertel. Devenue un outil de manipulation autant qu'un opium pour le peuple, la petite lucarne (dont la loi rend la présence obligatoire dans chaque foyer) diffuse informations truquées, publicités et jeux divertissants pour une masse de mécontents. Pris dans un cercle vicieux, ils voient dans le Libertel un moyen d'améliorer leurs vies et deviennent les candidats d'une machine impitoyable qui va les broyer afin de continuer à maintenir le peuple dans ses illusions.

Si Running Man à travers son personnage principal s'intéresse avant tout à La Grande Traque le jeu vedette du Libertel, nous découvrons au fil du récit d'autres jeux moins importants (Sacrés FusilsVous l'aimez très chaud ? Ou bien encore Le Moulin de la fortune dans lequel un malade du cœur ou un estropié doit répondre à des questions tout en courant dans un moulin tel un hamster) mettant bien en évidence l'unique valeur marchande que donne la société aux laissés pour compte. Si ce statut de candidat-objet façonné pour rentrer dans le moule d'émissions qui les broiera après avoir diverti le public était intéressant à la sortie du roman, il devient terrifiant à une époque où la télé-réalité monopolise les télévisions du monde entier et a déjà envoyé ad patres des candidats avides de reconnaissance médiatique dont la vie dépend d'un public qui appuiera sur la touche 1 en guise de lever de pouce pour faire durer son favori.

Ces versions modernes de jeux du cirque atteignent leur paroxysme avec La Grande Traque. Un show unique dont le terrain de jeu n'est rien de moins que le pays entier et où le candidat joue sa vie pour remporter une prime aussi importante qu'inatteignable. Chaque soir, le spectateur se repaît de la traque d'un homme banal présenté comme un être monstrueux par les médias. Chaque jour qui passe le candidat voit sa cagnotte augmentée mais c'est la mort assurée s'il se fait attraper par les chasseurs mandatés par la Fédération des Jeux. Une mort spectaculaire, sanglante et en direct afin d'abreuver le spectateur de sa soif de sang. Cerise sur le gâteau, ce dernier peut participer au jeu et gagner une prime s'il aide les chasseurs dans leur traque en fournissant des informations sur la cachette du fugitif. Qu'importe que ce dernier ne soit qu'un fantasme crée par la télévision pour faire peur au public quand argent et célébrité - même éphémères - sont à la clé. Tout en démontrant que l'utilisation d'un bouc émissaire est un moyen efficace pour manipuler les gens, Running Man montre également la facilité avec laquelle les médias télévisuels arrivent à créer de toute pièces ces boucs émissaires. Une facilité tellement énorme qu'on en vient à se demander si le spectateur n'accepte pas d'être complice de ce système tant que celui-ci ne perturbe pas son statut quo. Là encore nous ne sommes pas loin d'émissions du type Secret Story et Loft Story qui, sous couvert de réalité, ont créé des personnages et des situations de toutes pièces, engendrant un succès qui se prolonge grâce à la presse à sensation et un public qui, bien que conscient des ficelles de ces shows, n'en ait pas moins un complice conquis.

Comme vous pouvez le constater, le livre Running Man n'a donc pas grand chose à voir avec le film. Bien que reprenant ici et là des éléments du bouquin comme l'aspect média-spectacle, le film est avant tout un pur produit des années 80 et un véhicule pour la star de l'époque Arnold Schwarzenegger. Finie la traque impitoyable dans tous les États-Unis et bonjour à une espèce de course-poursuite au sein d'une arène fermée. Oublié Edward McCone que la banale apparence et le professionnalisme rendait encore plus terrifiant, celui-ci est remplacé par une galerie de monstres de foire ridicules qu'Arnie n'aura aucun mal à battre entre deux bons mots. Running Man le film est aujourd'hui un film gentiment ridicule tellement il est ancré dans les travers de son époque. On n'en garde pas moins un goût amer dans la bouche quand on se rend compte que cette adaptation participe au système que le livre dénonce. Si Stephen King avait envisagé un acteur comme Christopher Reeves pour incarner Ben Richards, c'est parce qu'il savait que la force de son  intrigue proviendrait avant tout de la nature banale de son personnage principal (tel que l'est Clark Kent, l'alter-ego de Superman personnage incarné par Reeves au cinéma), rendant par là même sa traque encore plus haletante. Car au delà du message contestataire que veut faire passer le roman avec plus ou moins de subtilité, il y a avant tout une course-poursuite qui vous tient en haleine du début à la fin.

En divisant son récit sous la forme de cent chapitres numérotés comme un compte à rebours, King nous plonge immédiatement dans un rythme soutenu qui prend rarement une pause. Les chapitres sont courts, les échanges sont vifs et Ben Richards doit faire face à énormément de péripéties dont l'intensité va continuellement en s’accroissant. Tout est donc fait pour tenir en haleine le lecteur. On distingue trois parties dans le livre : l'inscription aux Jeux, le début de La Grande Traque et le final avec l'otage de Richards. Chaque nouvelle partie correspond à une accélération du rythme de l'histoire mais également à un changement chez Ben Richard. Présenté comme un être banal mais profondément asocial, Richard va prendre de plus en plus conscience de son environnement et de son pouvoir au fur et à mesure de ses rencontres. S'il démontre un penchant pour la provocation lors des tests de candidature, ce n'est que lors de sa traque qu'il prend goût à la comédie. Alors qu'il ne se souciait que de lui-même et de sa famille, c'est en découvrant la réalité quant à la pollution engendrée par les usines, qu'il profitera du jeu pour alerter, sans succès, la population sur les mensonges de l’État. Enfin, bien qu'il démontre tout au long du récit une intelligente certaine, ce n'est que dans le face à face final avec McCone qu'il va dérouler des trésors d'ingéniosité pour gagner. Parallèlement à son évolution on assiste également à un changement dans la population. Véritables moutons au service de l'ordre établi (les examens déshumanisants pour participer aux Jeux), les prolos vont prendre de plus en plus conscience de leur pouvoir et de leur importance. Il aura fallu pour cela une étincelle appelé Ben Richards qui, dans un final aussi apocalyptique que terrifiant aujourd'hui, va mettre le feu à une poudrière qui ne demandait qu'à exploser afin de renverser un ordre injuste qui a fait son temps, marquant ainsi le changement d'une époque.

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