jeudi 5 novembre 2020

En avant les Blues !



Voici un anniversaire qui fait plaisir et donne envie de danser. Le 5 novembre 1980 sortait sur les écrans français The Blues Brothers. 40 ans pile, poil et voila que le film de John Landis est un quadra. Vu que c'est aussi mon cas, c'est vous dire que je pense qu'il entre dans la meilleure période la vie. Pour le coup je republie ici un texte que j'avais écrit il y a plusieurs années et que j'ai finalisé il y a 5 ans pour le Daily Mars. Bon entretemps j'ai appris d'autres trucs et il y aurait moyen de peaufiner cela mais j'ai la flemme et il y a une bluesmobile qui m'attends. 

 

 



 

 

 


L’homme est en perpétuelle quête et cherche sans arrêt des réponses à ses questions existentielles. D’où venons-nous ? Où allons-nous ? Qui sommes-nous ? Quel est ce film de dingue où la princesse Leia se balade avec un lance-flammes, où le père de Yoda brandit un préservatif usé, et où Steven Spielberg tend un reçu à deux trublions fringués en croque-morts en mission pour le Seigneur et ayant rendu ses lettres de noblesse à une musique magique ?

Imaginez la scène qu’on aimerait être totalement réelle : un soir à Chicago, deux hommes entrent dans un petit club de blues comme il en existe des centaines dans la capitale de l’Illinois. A l’intérieur du bar, le premier se pose sur une chaise et savoure un whisky tandis que son ami monte sur scène et accompagne à l’harmonica le groupe du soir. Il se nomme Dan Aykroyd, et depuis tout jeune il voue un amour sans bornes au rhythm’n’blues. Le voilà sur scène, probablement en train de jouer In the Midnight Hour ou Hold On, I’m Comin’, pour son ami de plus en plus subjugué. Ce dernier s’appelle John Belushi, beaucoup plus nourri par le rock et le heavy metal. Mais voilà qu’il redécouvre avec délectation une musique que beaucoup jugent vieillotte. Il n’en faut pas plus pour que ce cabotin de John monte sur scène et chante avec son pote. Lui qui a prouvé son talent vocal en imitant brillamment Joe Cocker durant un numéro du Saturday Night Live, se trouve comme un poisson dans l’eau sur scène en train de revisiter les standards du blues avec Dan.

Après plusieurs soirées composées de bœufs mémorables entrecoupées de beuveries, l’idée vient à Dan et John de prolonger ce duo au sein du Saturday Night Live. Après tout, l’émission possède un très bon groupe et ça serait un excellent moyen pour chauffer la salle à l’aide de numéros musicaux et de sketches. L’idée fait son chemin, et voilà que le 17 janvier 1976, les téléspectateurs découvrent Belushi et Aykroyd en costume d’abeille en train de chanter I’m a King Bee. Dan, affublé d’une paire de lunettes noires et d’un chapeau, joue de l’harmonica tandis que John, complètement allumé, chante, bondit et rebondit dans tous les sens. Voilà donc la première apparition d’un Blues Brothers Band à la musique déjà bien rythmée mais pas encore définitive. Car les deux compères visent plus haut que de simples sketches musicaux. Ils veulent faire (re)découvrir tout un héritage musical dément à un public sevré au disco. Pour accomplir leur mission sacrée, il ne reste plus qu’à compléter le groupe, trouver une identité, un look, un nom et un tube.

 


 



Au groupe du Saturday Night Live, composé entre autres de Paul Shaffer (clavier), Tom Malone (trombone), Alan Rubin (trompette) et Lou Marini (saxophone), vont se greffer d’autres artistes issus de plusieurs courants. Avec Steve Cropper et Matt Murphy (guitares), Donald Dunn (basse) et Steve Jordan (batterie), le groupe va acquérir un style unique. L’identité ? John Belushi et Dan Aykroyd vont créer leurs alter-ego musicaux : ‘Joliet’ Jake et Elwood Blues. Deux personnages taciturnes, voire inquiétants, qui ne prennent véritablement vie que lorsque la musique commence. Descendants directs du duo Sam & Dave, Jake et Elwood doivent également beaucoup au Downchild Blues Band, groupe de blues canadien fondé par les frères Donnie “Mr Downchild” et Richard “Hock” Walsh. Pour le costume, Dan va s’inspirer du look des beatniks des années 50/60 et va rajouter les lunettes et le chapeau issus d’une pochette d’un album de John Lee Hooker. Le nom du groupe sera soufflé par Howard Shore, alors directeur musical du Saturday Night Live : The Blues Brothers. Quand au tube, il sera suggéré par Steve « The Colonel » Cropper et Donald « Duck » Dunn. Ça sera Soul Man, le standard de la soul, écrit par Isaac Hayes & David Porter et interprété par Sam & Dave. Le prêche commence le 22 avril 1978.


« We’re on a mission from God »


 

 


 

 

 

En l’espace de quelques mois, ‘Joliet’ Jake & Elwood Blues deviennent un des monuments du Saturday Night Live. Le public redécouvre une musique alors oubliée au profit de la boule disco. Le désir de Dan et John est réalisé de manière talentueuse car s’il y a bien une chose dont il faut prendre conscience, c’est qu’ils n’incarnent pas deux personnages : ils sont Jake et Elwood au plus profond de leurs âmes quand ils revêtent leur costume. En cela, ils sont aidés par un groupe fabuleux, nexus de plusieurs courants musicaux tel le mélange entre un blues électrique de Chicago et les rythmiques des cuivres de Memphis. La sortie de l’album Briefcase Full of Blues confirme alors l’excellence de ces artistes et le talent musical toujours grandissant de Dan et John, qui vont bien au-delà des simples comiques poussant la chansonnette, apportant ainsi aux Blues Brothers une légitimité dans leur démarche musicale.

Les concerts se multiplient, leur popularité augmente et John Belushi enchaîne les succès au cinéma avec notamment le génial National Lampoon’s Animal House (American College chez nous) déjà réalisé par John Landis. Il n’en faut pas plus pour pousser Universal à produire un film sur les Blues Brothers. Dan Aykroyd se met donc au travail et pond son premier script. Novice dans cette tâche, il écrit un pavé de plus de trois cents pages racontant, avec force détails, l’origine des Blues Brothers, l’histoire du film et sa suite. Nommé réalisateur, John Landis va épurer un maximum ce scénario pour en extraire l’histoire la plus simple. Celle-ci tournera autour des grands standards que Belushi et Aykroyd auront choisi, fera la part belle aux numéros musicaux et rendra hommage aux grands noms du blues.

 


 



Alors que le script n’est pas encore finalisé, le tournage commence. Celui-ci se déroule entièrement dans l’Illinois et à Chicago, dans une bonne humeur communicative et dans la démesure. Ainsi, c’est en faisant un repérage dans un centre commercial abandonné depuis plus d’un an que Dan a l’idée d’y tourner une poursuite en voiture au milieu de la foule de consommateurs. Il en va de même pour la suite. La production obtient l’autorisation de tourner au sein de Chicago, et Landis s’en donne à cœur joie, filmant pas moins de trente-quatre voitures fonçant à plus de 150 km/h dans les rues de la ville. Niveau musique, les Blues Brothers vont s’adjoindre les talents de Cab Calloway (Curtis), Ray Charles (patron de la boutique Ray’s Music Exchange), James Brown (le révérend Cleophus James), Aretha Franklin (Mrs Murphy) et John Lee Hooker (Street Slim). Une magnifique brochette de talents considérés comme has been à l’époque. L’arrivée de Carlton Jonhson est également déterminante sur le film et le groupe. Il chorégraphie tous les numéros musicaux, et son influence se ressentira sur les performances scéniques du groupe.

Le film sort le 20 juin 1980 et le 5 novembre de la même année en France. A peine libéré de prison, Jake apprend que l’orphelinat dans lequel ils ont grandi, lui et son frère Elwood, va être vendu si les 5 000 dollars que réclame le fisc ne sont pas versés d’ici cinq jours. Afin d’empêcher cela, ils décident de reformer leur groupe de rhythm’n’blues. Cependant, si certains de leurs musiciens sont faciles à trouver et à convaincre, d’autres sont beaucoup plus réticents à quitter leur job et leur femme pour repartir sur les routes. Qu’importe pour les Blues Brothers, convaincus d’être en mission pour le Seigneur, ils n’hésitent pas à se mettre à dos un groupe de country, la police, des nazis, l’armée et le pire de tout, une femme amoureuse.



« Use of unnecessary violence in the apprehension of the Blues Brothers has been approved »

 

 



Tout le comique du film est basé sur une idée simple. Jake et Elwood sont en fait de grands enfants qui ont une vision basique de l’univers. Il y a le bien (leur orphelinat, le blues, Curtis, etc.) et le mal (les autorités qui veulent faire fermer l’orphelinat, les nazis, etc.). Un manichéisme primaire, donc, qui engendre alors des clashs jouissifs. La police les empêche de remplir leur mission ? Ils s’enfuient en dévastant un centre commercial. Un des membres du groupe refuse de rejouer ? Ils viennent dans le restaurant où il travaille en tant que maître d’hôtel et lui foutent la honte de sa vie en draguant les clientes et en bouffant comme des porcs. Un humour potache (le premier gag du film concerne une capote trouée) soutenu par Jake et Elwood, deux frères taciturnes qui, au travers de leurs Ray-Ban, voient le monde en noir et blanc. D’ailleurs, ces lunettes de soleil font partie intégrante d’un tout qui nous révèle la véritable nature des Blues Brothers. Ils sont des super-héros avec leurs costumes et leur cachette secrète où est rangée la Bluesmobile (visible dans la version longue du film), un véhicule doté de capacités extraordinaires tout comme ses propriétaires qui, en plus d’adopter une multitude de poses iconiques, sont aussi dotés de pouvoirs hors du commun.


Lors d’une interview, John Landis avait résumé le message du film en faisant un bras d’honneur à la caméra et en se marrant. En donnant des capacités dignes de super-héros de comic books à leurs personnages, Dan Aykroyd et John Belushi vont justifier de manière simple toute la démesure du film. La fameuse suspension d’incrédulité fonctionne ici à merveille. Qu’importe qu’il soit impossible d’échapper à l’explosion d’un immeuble ou à celle d’une cuve d’essence, ou bien encore de réussir à fuir la police, des nazis, des rednecks, des pompiers, des CRS, et l’armée, tout cela en même temps… Le fait est que non seulement on y croit mais on s’en régale. Rien n’est plus jouissif que de voir deux grands gamins envoyer chier de multiples institutions castratrices ou fascistes, surtout quand ce règlement de compte sur fond de rhythm’n’blues endiablé se double d’un concert de tôles froissées.

 


 

 


The Blues Brothers est connu pour ses scènes de poursuites automobiles absolument ahurissantes. Cela commence par une Bluesmobile franchissant l’énorme gouffre qui sépare les deux parties d’un pont pour se finir avec une course anthologique au sein même de Chicago (chose très rare à l’époque, du fait d’un décret municipal interdisant les tournages de poursuite dans la ville). Entre ces deux morceaux de bravoure, on assiste à plusieurs scènes durant lesquelles Elwood pilote sa voiture tel un cartoon des Fous du volant. Depuis le film, la Bluesmobile est entrée dans le panthéon des voitures de légende, tout en devenant un élément incontournable de la mythologie des Blues Brothers. Toutes ces scènes de poursuite sont réglées et chorégraphiées avec autant de minutie que les numéros musicaux. Car n’oublions pas que The Blues Brothers est aussi, et avant tout, un énorme et fabuleux concert. 




« And now ladies and gentlemen, it is the distinct pleasure of the management to present to you, the evening’s star attraction. Here they are back after their exclusive three year tour of Europe, Scandinavia and the sub continent. Won’t you welcome from Calumet City Illinios, the show band of Joliet Jake and Elwood Blues. The Blues Brothers »

 

 


La démesure du film a eu comme conséquence fâcheuse de mettre en retrait son aspect musical. Pourtant, la multitude de guest stars, la diversité dans les numéros musicaux et la bande originale de grande qualité font que le film sera également une réussite sur ce plan là. Dan et John ont gardé la même ambition de faire redécouvrir le blues. Il n’est donc pas étonnant de constater que le film est une immense et belle déclaration d’amour à Chicago et à ces musiciens et chanteurs. Au lieu de se reposer sur leurs lauriers et de mettre en images leur premier album, Dan Aykroyd et John Belushi vont plus loin et nous font découvrir d’autres horizons. Ainsi, nous apprécions ici et là des scènes contemplatives où Jake et Elwood se promènent dans les rues de leur ville au rythme du Peter Gunn Theme d’Henry Mancini, de Sweet Home Chicago de Robert Johnson, de She Caught the Katy de Taj Mahal ou sur les mesures de guitare de John Lee Hooker. De même, James Brown, Aretha Franklin, Cab Calloway et Ray Charles vont connaître ici une renaissance fabuleuse.


Les chansons seront enregistrées en préproduction pour ensuite pouvoir filmer les performances au sein du film. Seuls Aretha Franklin et James Brown ne se prêteront pas à l’exercice. N’arrivant pas à chanter en play-back, ils chanteront sur le plateau de tournage. Au final, les numéros de tous ces monstres du blues sont inoubliables. Leur diversité les rend unique et la lassitude ne pointe jamais. James Brown donne un prêche tonitruant dans une église tandis qu’Aretha Franklin fait une scène de ménage rythmée à son homme (et ce n’est pas hasard si la version de Think qui s’impose aujourd’hui à nos oreilles est celle du film). Même s’ils se tiennent en retrait par rapport à leurs aînés, les Blues Brothers ne sont pas pour autant à la traîne. Quand ils ne se font pas poursuivre par la police sur les chansons de Sam & Dave, Jake et Elwood reprennent un standard de série télé western dans un bar country bourré de rednecks et mettent le feu sur scène pour le mythique Everybody Needs Somebody to Love, l’apothéose musicale du film.







The Blues Brothers est un miracle, une déclaration d’amour doublée d’une comédie irrévérencieuse où tout le monde en prend pour son grade. Et au-dessus de tout ce bordel, règnent deux trublions dont la mission pour le Seigneur est de faire swinguer la planète.