Sortie
importante de cette rentrée 2018 sur la PS4, Spider-Man m’a
totalement emporté et séduit. S’il ne révolutionne rien en terme
vidéo-ludique, sa proposition en tant que nouvelle adaptation du
plus célèbre personnage de Marvel est d’une qualité telle
qu’elle se place parmi les meilleures tous supports confondus.
Avertissement :
Ce texte révèle des éléments de l'intrigue du jeu
Spider-Man
commence en donnant immédiatement le contrôle du super-héros
en train de voltiger entre les grattes-ciels de New-York. Très vite,
la capitaine Yuri Watanabe l’informe que Wilson Fisk va être
arrêté par la police. Surnommé le Kingpin*, il est à la tête de
la plus grande organisation criminelle de la ville et son influence
lui a permis d’éviter pendant longtemps la prison. Il semble
pourtant que cette ère soit révolue et qu'il puisse enfin être
condamné. Ce n’est toutefois pas une partie de plaisir car Fisk
tend un piège à la police et le centre de Manhattan devient le
théâtre d’une véritable guerre. Heureusement l’Araignée est
là et va permettre l’arrestation du bandit.
Servant
de prise en main pour le joueur qui découvre les commandes
élémentaires pour diriger le personnages (lancer sa toile, voltiger
entre les immeubles, se battre contre des groupes de malfrats ou bien
encore utiliser son sens d’araignée afin d’éviter les tirs et
les coups), ce début de jeu permet également de poser le contexte
de l’histoire.
On
apprend en effet qu’on ne contrôle pas un jeune adolescent
venant de découvrir ses pouvoirs mais un super-héros expérimenté
qui protège la ville depuis huit ans. Ce choix pertinent pose dès
lors une affiliation claire avec le support original des aventures de
Spider-Man à savoir le comic-book. En effet
les différents films consacrés au personnage (la trilogie de Sam
Raimi et les deux films de Marc
Webb), débutaient sur les origines
du personnage et si le dernier film en date (Spider-Man :
Homecoming de Jon
Watts) nous montraient un Peter
Parker déjà piqué par l’araignée radioactive qui lui donna ses
pouvoirs, il est toujours un jeune adolescent fréquentant encore le
lycée.
Contrairement
aux avatars cinématographiques (et
quelques-uns télévisuels), le Spider-Man du studio Insomniac, se
rapproche donc énormément de sa version originale de par la
similarité de leur contexte (un Peter Parker jeune adulte qui tente
de jongler entre son statut de super-héros, son « vrai »
travail et une vie sociale compliquée) et par un environnement
foisonnant en terme d’amis et d’ennemis déjà établis.
Toutefois ce Spider-Man est également une création originale
en ce sens qu’elle n’est pas la suite d’un des films ou
l’adaptation servile de la bande dessinée. Dès lors si le jeu
s’apprécie de par sa fidélité à la BD, c’est dans ses
différences qu’il enthousiasme totalement.
Après
l’arrestation de Fisk, le joueur découvre peu à peu le tissu
social de Peter Parker. Au rayon valeurs sûres, on retrouve une
Tante May physiquement dans la lignée de l’image populaire que
l'on se fait du personnage. Retraitée active qui aide les SDF au
sein d’un refuge fondé par le milliardaire
Martin Li, May Parker est fidèle à elle-même. Aimante,
généreuse, protectrice et sagace, sa relation avec Peter sera l’un
des points forts de l’histoire notamment par une dimension
dramatique à la fois intimiste et épique.
En
plaçant le joueur
huit années après la naissance de Spider-Man, les scénaristes du
jeu vidéo (Jon
Paquette, Benjamin Arfmann, Kelsey Beachum, Christos Gage et
Dan
Slott) se
donnent une liberté créative permettant de moderniser
intelligemment certains personnages tout en prenant en compte un
passé fidèle au comic-book. A ce titre, l’exemple le plus parlant
est celui de J. Jonah Jameson. Dans la bande dessinée,
il est le propriétaire et directeur du journal le Daily Bugle et se
sert de celui-ci pour exprimer toute sa détestation envers
Spider-Man. Si dans le jeu-vidéo Jameson a bel et bien travaillé
pour le journal, il est aujourd’hui l’animateur d’un podcast
populaire lui permettant de développer tout son potentiel.
Intervenant à intervalles réguliers au cours du jeu, ses diatribes
contre tout et n’importe quoi (mais surtout contre Spider-Man),
apporte une nouvelle aura au personnage.
De
manière générale, Spider-Man est une excellente
adaptation pour laquelle ses créateurs se sont posés les bonnes
questions. La plus importante étant de se demander quels éléments
passent sans problème la frontière du changement de format (de la
BD au jeu-vidéo) et quels sont ceux qui nécessitent un changement.
Le podcast de Jameson fait partie de cette catégorie. Outre le
caractère plus moderne et en phase avec l’époque (où l’on se
rend compte avec frisson que ce personnage vieux de 50 ans reste
totalement d’actualité et a aujourd’hui beaucoup d’émules
dans la vie réelle), cela apporte une nouvelle dynamique en harmonie
avec le rythme d’un jeu-vidéo. Les invectives de Jameson ont
davantage de force à travers des élucubrations orales qu’à
travers la lecture d’un journal.
Le
Bugle n’est toutefois pas oublié. On peut lire ses manchettes
et ses gros titres à plusieurs moments du jeu mais il est surtout
incarné en la personne de Marie-Jeanne Watson, pigiste au sein du
journal. Grand amour de Peter Paker, M.J. est connue pour être un
personnage au tempérament de feu et au physique avantageux lui
permettant une carrière de top-modèle et d’actrice. Sa
réinvention au sein du jeu-vidéo est probablement la plus
importante et la plus réjouissante. Non pas que la version comic est
inintéressante mais elle aurait trop facilement pu être en
inadéquation avec notre époque. S’inspirant du comic Ultimate
Spider-Man**, cette Marie-Jeanne garde le même caractère
rentre-dedans mâtiné d’un sens du contact certain qu’elle met
au service de son métier.
Ce
changement introduit une nouvelle dynamique du duo Peter/M.J
rappelant celle établie entre Superman et la reporter Loïs Lane :
la différence se situe dans la jeunesse des deux personnages et la
volonté de M.J. de ne pas être une faire-valoir et la belle à
sauver. Afin d’appuyer son importance, la journaliste est
d’ailleurs un personnage jouable lors de plusieurs scènes. Si
celles-ci ne sont guère intéressantes d’un point de vue ludique
(mise a part une séquence de prise d’otage dont l’interactivité
avec Spider-Man est intéressante et gagnerait à être développée
dans le prochain volet), elles mettent en valeur les talents
d’investigatrice de M.J. mais également son passé avec Peter et
un Harry Osborn dont l’absence hante toute l’histoire.
Si
l’entourage de Peter Parker est très bien servi, respectant en
cela l’un des fondamentaux d’une série dont les seconds rôles
tiennent une place majeure, les ennemis de Spider-Man ne sont pas en
reste. Outre les nombreuses petites frappes et cambrioleurs qui
finiront dans la toile du Tisseur, le jeu-vidéo nous offre
l’occasion d’affronter une importante galerie de super-vilains :
le Shocker, le Vautour, le Rhino, le Scorpion, Electro etc. Certains
manquent à l’appel***, toutefois il y a suffisamment d'antagonistes
pour ne pas bouder son plaisir. Leur présence relève d’une
logique narrative pertinente (permettant notamment l’apparition
d’un célèbre groupe de super-vilains) et dénote également d’une
volonté de couvrir tout le spectre du comic. On peut le voir avec
l’emploi du Kingpin, ennemi emblématique de Daredevil : il
fut tout d’abord un ennemi régulier de Spider-Man créé par Stan
Lee et John Romita, et apparaît dans les pages de The
Amazing Spider-Man #50 en 1967. Enfin si Norman Osborn est
bien présent dans le jeu, c’est dans un rôle inédit mettant de
coté son alter-ego maléfique, le Bouffon Vert.
On
fera également face au terrible Mister Negative, méchant récent
crée par Dan Slott. Ce dernier est l’un des deux
scénaristes de comics-book (avec Christos Gage) à avoir
travaillé sur le jeu-vidéo et nul doute que sa présence fut
déterminante dans la qualité finale de l’histoire. Actuellement
sur les séries Iron Man et Fantastic Four,
il fut le scénariste de Spider-Man pendant dix ans (2008-2018), un
long cycle dont la grande qualité le place parmi les meilleures
périodes du personnage et dont l’un des points d’orgue fut la
mise en avant d’Otto Octavius alias le Docteur Octopus. Ce vilain
emblématique de Spider-Man qui fut toutefois très en retrait durant
des années au profit du Bouffon Vert, mais que le scénariste a
replacé en tant qu’ennemi-miroir de Spider-Man. Aujourd’hui, Dan
Slott profite de l’adaptation vidéo-ludique pour nous en
raconter la nouvelle origine.
Adoptant
une nouvelle approche sur un personnage qu’il semble chérir
tout particulièrement, Dan Slott établi un lien entre le
héros et son ennemi et fait d’un Otto Octavius pas encore méchant,
l’employeur de Peter Parker : les deux travaillent sur la
création de membres artificiels pour les amputés. Génie
scientifique reconnu mais à la carrière avortée, Octavius est le
mentor de Peter Parker qui voit en lui un homme altruiste mettant son
savoir au service de l’humanité. Bref un exemple qu’il veut
suivre. Au fil du jeu toutefois, on assistera à la chute d’Octavius
et à la naissance du Docteur Octopus en parallèle de la création
des tentacules robotiques emblématiques du vilain, création à
laquelle Peter Parker et le joueur prendront une part active. Cet arc
scénaristique a plusieurs qualités : il nous fait assister à
la naissance d’un grand méchant, relance l’histoire du jeu en
lui conférant dès lors une dimension épique mais surtout il permet
d’affirmer à nouveau le sentiment de culpabilité propre au
personnage de Spider-Man.
En
faisant de ce dernier (et par extension du joueur) l’un des
responsables de la création du Docteur Octopus, Spider-Man
touche du doigt l’essence d’un personnage traumatisé par les
conséquences négatives de ses actions et persuadé qu’il doit
changer les choses. « Un grand pouvoir implique de grandes
responsabilité » : ce mantra parcourt le comic The
Amazing Spider-Man depuis ses débuts et participe à la
construction du super-héros dans ses différents aspects. C’est
donc tout à l’honneur du jeu-vidéo que d’arriver à perpétuer
cet état d’esprit par le biais de son système de jeu.
Spider-Man
est en effet un jeu d’action se déroulant dans un monde
ouvert. Bien que devant suivre un parcours balisé, le joueur a le
contrôle de la temporalité de ses actions et peut décider à tout
moment d’effectuer des missions annexes à l’histoire principale.
Caractéristique fondamentale, cette liberté peut avoir comme effet
pervers une dilatation à l’extrême du rythme de jeu et un
décalage entre les actions du joueur et l’évolution du personnage
au sein de l’histoire narrée. La grande réussite du jeu est de
jouer de ce problème pour l’intégrer à son récit, le personnage
s’y prêtant d’ailleurs tout particulièrement.
Réputé
pour ses retards chroniques du à son activité
super-héroïque, Peter Parker se voit régulièrement critiqué et
réprimandé à cause de ceux-ci par ses proches. Au sein du jeu cela
se traduit par des réflexions régulières à ce sujet et notamment
lors des cinématiques lançant chaque nouveau chapitre de l’histoire
principale. On pourra donc à loisir sauver des gens, arrêter des
cambrioleurs ou stopper des courses-poursuites pour reprendre ensuite
le cours de l’histoire sans qu’on ressente un quelconque problème
de rythme ou de décalage.
Si
vidéo-ludiquement parlant Spider-Man est dans la
moyenne des autres jeu du même type, on reste néanmoins fasciné
par la capacité de cet univers à s’intégrer aussi facilement aux
caractéristiques des jeux à monde ouvert comme si celles-ci avaient
été créées pour un tel personnage. Les différentes petites
missions annexes ou les appels de détresse dans lesquelles le joueur
peut à loisir intervenir concourent à la caractérisation de
Spider-Man et renforce la fidélité à l’œuvre originale. The
friendly neighborhood Spider-Man (en francais : « Spider-Man
le voisin serviable ») n’est pas qu’une simple expression
mais une caractérisation fidèle d’un héros protégeant son
quartier et sa ville des agressions de super-vilains mais aussi des
méfaits du quotidien. Ce lien entre la ville, ses habitants et un
Spider-Man toujours affable et drôle se retrouve également dans une
autre bonne trouvaille : le compte twitter du Tisseur qu’on
peut consulter à loisir dans le menu.
Cette
approche permet enfin à Dan Slott de porter un dernier
regard sur un personnage auquel il consacra plus de dix ans de sa vie
et qu'il vient de quitter. Déconnecté de la continuité officielle
du comic-book, le scénariste trouve ici l'occasion de revenir sur
certains événements décriés et d'y apporter son point de vue en
faisant des choix osés dont l'intelligence du traitement et la
puissance émotionnelle qui s'en dégagent sont remarquables et ne
demandent qu'à être repris dans le comic-book. Il y a ici une
manière sagace de construire une dramaturgie prompte à faire
avancer correctement le personnage et à le confronter à des
dilemmes moraux en le traitant comme une personne adulte n'ayant pas
besoin de faire un pacte avec le diable pour affronter les drames.
Le
studio Insomniac a donc eu à cœur de proposer un jeu dont les
mécanismes seraient en cohérence avec les fondamentaux du comic
tout en offrant son lot d'actions à travers des combats dynamiques
et des scènes d'anthologie marquantes. Et même si on pourra être
déçu par un combat final en deçà de ce qui précède, le jeu
force l'admiration par sa capacité à avoir su satisfaire des fans
très à cheval quant à la fidélité vis à vis du comic, tout en
explorant des nouvelles voies particulièrement intéressantes dans
l'optique de plaire à tout un nouveau public. Ce renvoi constant
entre fondamentaux et proposition inédite est la force d'une œuvre
qui marquera durablement les esprits en tant qu'adaptation de grande
qualité de Spider-Man tout support confondu.
*
On regrettera l’absence de traduction de certains noms (Kingpin non
traduit en Caïd, Vulture en Vautour). Un choix d’autant plus
dommageable que la version française du jeu est de très grande
qualité notamment dans l'adaptation de l'humour dont Spider-Man use
constamment.
**
Qui était déjà une ré-invention de la série au début des années
2000
*** En
outre le jeu se permet de mettre des grands noms de côté pour mieux
les exploiter dans un prochain épisode
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