lundi 22 mars 2021

Alpha Flight de John Byrne : Famille dysfonctionnelle

Panini Comics publie cette semaine dans leur collection Marvel Classic une série qui a fait les beaux jours de la revue Strange dans les années 80 : La Division Alpha (Alpha Flight en VO). Pour l'occasion je republie mon article écrit pour le site du Daily Mars et publié il y a presque quatre ans lors de la parution aux USA d'un omnibus contenant tous les épisodes écrit et dessinée par John Byrne






Profitant des derniers instants de calme avant la rentrée, faisons un saut dans le passé pour revenir sur les premières aventures d’une équipe peu présente aujourd’hui mais qui garde une cote d’amour élevée sous nos latitudes. Un étrange paradoxe quand on s’aperçoit que La Division Alpha est tout sauf une série sur une équipe de super-héros.

 


Ça raconte quoi ?

Première équipe de super-héros du Canada, la Division Alpha fut fondée par le Département H (une branche secrète du ministère de la défense) sous la direction de James MacDonald Hudson (Vindicator) et se compose de Sasquatch (un humain capable de se transformer en un puissant monstre), Shaman (puissant praticien de la magie indienne), Snowbird (une métamorphe) et des jumeaux Aurora et Northstar (capable de se déplacer à très grande vitesse). Mais après quelques opérations dont certaines furent des échecs retentissants (notamment la tentative de capture de Wolverine) et face aux coûts du Département H, l’équipe est dissoute. Qu’importe pour la Division Alpha, après un combat contre l’immense Tundra, elle décide de se reformer.

 

C’est de qui ?

Apparu dans The Uncanny X-Men #120, les membres de la Division Alpha sont crées par John Byrne qui sera ensuite à l’écriture et au dessin de la série durant les 28 premiers épisodes de la série, ceux qui nous intéressent aujourd’hui.

 


Ça date de quand ?

Si la première apparition des personnages date d’avril 1979, la série quant à elle débute en août 1983.

 

Et en France ?

La série (période Byrne) fut publiée en France à partir de Strange n°179 (novembre 1984) et jusqu’à Strange n°209 (avril 1987).

 

Et où puis-je lire cela aujourd’hui ?

En France, la série n’a jamais était rééditée par Panini Comics. Toutefois, un omnibus vient d’être publié cette année par Marvel. Il contient non seulement tous les épisodes écrits et dessinés par John Byrne, mais également les épisodes de The Uncanny X-Men où apparaît l’équipe ainsi que des épisodes de The Incredible Hulk, Machine Man ou bien encore Marvel Two-in-One dans lesquelles certains personnages sont invités. On ajoutera à cela également des extraits des épisodes de Fantastic Four alors écrits et dessinés également par Byrne.

[Note : aujourd'hui la série est disponible en France dans la collection Marvel Classic]


Et donc c’est bien ?

Qu’elle étrange aventure que celle de cette équipe dont la présence ne devait pas dépasser quelques épisodes de la série The Uncanny X-Men et pourtant, trente-huit ans plus tard, la Division Alpha a toujours une grande cote d’amour auprès du lectorat et vient de faire l’objet d’un omnibus massif regroupant tous les épisodes écrits et dessinés par son créateur, John Byrne.

 

Retour en arrière. En 1979, le scénariste Chris Claremont et le dessinateur John Byrne sont aux commandes de The Uncanny X-Men, une série dont les ventes augmentent chaque mois et dont les retours critiques sont élogieux. On ne va pas refaire le match, on assiste ici à l’âge d’or d’une série qui, depuis quelques mois, montre ses personnages séparés les uns des autres persuadés que leurs camarades sont morts après une terrible bataille contre Magneto. Tandis que le professeur Xavier s’exile dans l’espace pour oublier sa douleur et que Jean Grey se reconstruit peu à peu en Écosse, les autres X-men sont les acteurs d’une odyssée pleine de dangers qui les fera visiter la Terre Sauvage, le Japon et le Canada.

 

Dans ce pays, Cyclope, Tornade, Diablo, Colossus, le Hurleur et Wolverine vont affronter la Division Alpha. La raison ? Ils ont pour mission de récupérer Wolverine. Ce dernier avait posé sa démission d’agent secret canadien de manière houleuse (dans Giant-Size X-Men #1 qui voit la naissance de la nouvelle équipe). Ne l’acceptant pas, le gouvernement cherche donc à le récupérer. Après le fiasco de la première tentative (dans The Uncanny X-Men #109), James Hudson, alias Vindicator, décide donc de réunir toute son équipe pour lutter contre les X-Men.

 

Créés dans le but d’être des antagonistes classiques, les membres de la Division Alpha sont les reflets négatifs des héros. La maîtrise des éléments de Shaman fait de lui le rival parfait pour Tornade tandis que Snowbird (Harfang en version française) pourra lutter contre elle dans les airs, à la force brute de Colossus va être opposée celle de l’imposant Sasquatch, la vitesse surnaturelle du duo Aurora/Northstar (Vega en version française) rivalisera avec le pouvoir de téléportation de Diablo. Enfin Vindicator sera opposé à Cyclope et Wolverine.

 



 

Cependant, si la Division Alpha est l’ennemi des X-Men, ils n’en sont pas pour autant des méchants. Tout au plus, on soulignera le caractère impitoyable de Northstar qui n’hésite pas à frapper une Tornade épuisée d’avoir sauvé Vancouver d’une tempête devenue incontrôlable générée par Shaman. La première apparition de l’équipe nous les montre d’ailleurs sous leur identité civile et le moins que l’on puisse dire est que ceux-ci paraissent tout à fait amicaux et qu’ils représentent des corps de métiers tout ce qu’il y a de plus honorable (un professeur, un médecin, un scientifique ou bien encore un officier de la police montée royale du Canada). Malgré leurs airs peu amicaux lors de leur première apparition en costumes, ils sont des agents du gouvernement qui remplissent leurs missions sans haine ou animosité envers leurs ennemis.

 


Si les personnages
ne sortent pas du cadre de leur rôle d’antagoniste, il n’en reste pas moins qu’ils marquent durablement le lecteur. Il faut dire qu’ils sont l’exemple parfait du travail approfondi et de l’efficacité du tandem Claremont/Byrne. Même des personnages secondaires à l’existence éphémère possèdent en eux de quoi laisser une empreinte durable. Dans un premier temps, on pourrait penser qu’ils ne servent que de prétexte à développer le personnage de Wolverine. On les retrouve ainsi dans The Uncanny X-Men #139 et #140 (épisode dans lequel on découvre que le mutant griffu se prénomme Logan). La même année pourtant, on retrouve Sasquatch dans The Incredible Hulk Annual #18. Écrit par John Byrne et Roger Stern et dessiné par Sal Buscema, ce brillant exemple de ce qu’était la tragédie de la série à cette époque nous montre un combat titanesque entre deux monstres.

 

Entre 1979 et 1983, les membres de la Division Alpha feront office de guest-stars dans plusieurs séries Marvel. On les retrouve avec Hulk, la Chose ou bien encore Machine-Man. Mais Marvel veut plus et désire lancer une série consacrée à l’équipe en tant que spin-off des X-Men et aimerait que la vedette de la maison s’en charge. À cette époque, John Byrne préside en effet à la destinée des Quatre Fantastiques pour ce qui reste encore aujourd’hui l’une des plus grandes périodes de la série. Il se charge également de la série The Thing et prend même le temps de signer des couvertures pour Marvel Two-In-One ou un épisode des Avengers scénarisé par Roger Stern. Si Byrne est un bourreau de travail, il n’a franchement pas envie de reprendre des personnages qui ne l’intéressent guère dans le cas d’un spin-off d’une série qu’il a quittée suite à des désaccords artistiques avec Chris Claremont. À l’instar de ce dernier qui estimait que quitte à voir d’autres séries dérivées des X-Men autant s’y coller lui-même, il va toutefois accepter d’écrire et de dessiner une série Alpha Flight (La Division Alpha en français), mais à sa façon.

 


Dans sa note d’intention
pour la reprise en main des X-Men en 2001, le scénariste Grant Morrison avança l’idée que les équipes super-héroïques répondaient à un schéma calqué sur certaines structures. Il compara ainsi les Avengers à une équipe de football, les Quatre Fantastiques à une famille, la Ligue de Justice aux Nations Unies et les X-Men à une école. À la lecture de La Division Alpha, il apparaît que John Byrne semble vouloir raconter les aventures d’une famille dysfonctionnelle en jouant sur l’espoir d’un nouveau foyer pour des héros dont la plupart ne proviennent pas d’une famille qu’on pourrait qualifier de classique à l’époque de la série. Walter Langkowski (Sasquatch) est ainsi divorcé et ne voit pas ses enfants, Jeanne-Marie et Jean-Paul Baubier (Aurora et Northstar) furent séparés très jeunes à la suite de la mort de leurs parents (Aurora perdit ensuite ses parents adoptifs et vécut dans un orphelinat ressemblant plus à une prison) enfin Michael Twoyoungmen (Shaman) est veuf et sa fille refuse de lui parler. Seule Marrina Smallwood (Marina) et Anne McKenzie (nom d’emprunt de Snowbird) semblent avoir vécu dans un foyer paisible, mais la première verra ses croyances éclatées en mille morceaux dès le début de la série. Quant à la seconde, sa nature magique relativise son statut, son identité civile étant une création.

 


Il apparaît
donc guère étonnant que, malgré la dissolution du département H et de la Division Alpha en tant qu’équipe gouvernementale, ses membres décident de continuer à travailler ensemble après s’être réunis pour aider leur chef James MacDonald Hudson. Ce dernier et sa femme Heather représente à leurs yeux le seul îlot de stabilité. Mais malgré ces intentions de reformer une sorte de cellule familiale, rien ne se passera comme voulu. En l’espace de deux ans, John Byrne va en effet proposer une série qui ira à l’encontre des codes établis pour une équipe de super-héros. Constatation frappante quand on observe ses 28 épisodes, la Division Alpha est rarement au complet. On compte ainsi cinq épisodes, sur les 28 épisodes, où toute l’équipe est présente (et ce chiffre descend à un épisode, si on considère Marina comme membre de l’équipe).

 

Cette volonté de proposer une série dont la majorité des épisodes se focalisent sur deux ou trois personnages s’explique non seulement par la nécessité de développer et d’approfondir l’histoire et le passé de ceux qui n’étaient que des antagonistes basiques avant le lancement de la série, mais également par l’envie de ne pas se conformer à ce qu’on attend d’une série de ce type. Même s’il a souvent dit qu’il n’aimait pas franchement la série, La Division Alpha ressemble quand même à une récréation pour un John Byrne alors au sommet de sa célébrité. Alors que ses Fantastic Four sont remarquables dans le traitement de ses personnages et la capacité à moderniser l’équipe tout en l’inscrivant directement dans l’héritage de Stan Lee et Jack Kirby, La Division Alpha est l’occasion pour lui d’expérimenter certaines idées qu’il développera par la suite. On pourra ainsi citer Snowblind (Alpha Flight #6) et son duel dans le blizzard opposant Kolomaq à Snowbird et qui consiste en plusieurs pages de cases blanches agrémentées d’onomatopées. Ce genre de numéro d’équilibriste entre le récit sérieux et le gag¹ se retrouvera démultiplié dans la série She-Hulk.

 


La structure atypique
de la série va également être pour le lecteur l’occasion de voyager. N’étant pas une équipe avec un QG précis et dont les membres habitent à différents endroits du Canada, la Division Alpha va vivre des aventures aussi bien dans le Grand Nord que dans les quartiers d’une ville en passant par de vastes forêts. Ces cadres vont d’ailleurs jouer un rôle dans l’atmosphère de la série et la nature des menaces rencontrées par les héros. Nombre d’épisodes montrent ainsi des combats entre des membres de l’équipe et des créatures monstrueuses sur lesquelles le dessinateur préfère jouer la carte de la suggestion. Très clairement, l’œuvre de H.P. Lovecraft est une source d’inspiration majeure de la série que ce soit directement (on pense à la créature du Master ou bien tous les grands monstres liés à Snowbird renvoyant au mythe des Grands Anciens) ou via d’autres œuvres tout aussi tributaires du maître de l’horreur. On pense bien sûr au diptyque Things aren’t always what they seem/Blood Battle (Alpha Flight #9 et #10) et sa relecture du film The Thing².

 


À l’opposé
là encore de la science-fiction des Quatre Fantastiques³, John Byrne va ancrer la série dans le genre horrifique allant jusqu’à en faire le fil rouge de la série. Car si chaque épisode de la série raconte une histoire différente, John Byrne les construits autour d’une intrigue globale dont les sommets seront atteint lors des numéros anniversaires de la série. ...And One Shall Surely Die (Alpha Flight #12) et Final Conflict (Alpha Flight #24) restent des moments majeurs pour chaque lecteur, non seulement pour la maestria du dessin, mais aussi pour l’importance de leurs événements. La fin de la guerre contre les Grandes Bêtes pour Final Conflict et, bien sûr, la mort de James Hudson dans …And One Shall Surely Die. Négatif de la mort de Jean Grey dans The Uncanny X-Men #137 (par Chris Claremont et John Byrne), l’événement est choquant par sa soudaineté (une splash-page), son absence d’héroïsme (sa mort est sale et absurde) et les stigmates qui marqueront pendant longtemps l’épouse de James, Heather, personnage remarquable s’il en est.

 

Car, plus que toutes les autres qualités, ce sont véritablement les personnages de la série qui font la force de celle-ci et participe à sa cote d’amour encore aujourd’hui. Ce qui était une difficulté au moment du lancement du titre s’est révélé devenir sa plus grande force. En cela, les choix scénaristiques de John Byrne furent payants. En consacrant chaque épisode à quelques personnages et en écrivant des back-up consacrés à l’origine de leurs pouvoirs (procédé qui renvoie à celui utilisé dans les premiers numéros de la série The Uncanny X-Men), les membres de la Division Alpha deviennent de véritables individus particulièrement bien brossés. Homme détruit par la mort de sa femme et le rejet de sa fille, Michael Twoyoungmen (Shaman) se pose comme un sage faisant le lien entre la science et la nature (une figure qu’on retrouvera sous bien des aspects, par exemple dans The Authority avec le Docteur et l’Ingénieur). La schizophrénie de Jeanne Marie/Aurora sera le moteur de beaucoup d’histoires et de tensions entre les deux hommes de sa vie, Sasquatch son compagnon et Jean-Philippe son frère. Si l’homosexualité de ce dernier est aujourd’hui une chose connue, à l’époque l’éditeur refusa que John Byrne l’évoque ouvertement. On s’amusera de voir avec quelle ingéniosité le scénariste sous-entend la sexualité de son personnage tout en n’en faisant qu’une information, le caractère exécrable (né d’une peur immense de l’abandon) et son passif de sympathisant terroriste étant plus important bien que tous ces éléments se nourrissent des uns des autres.

 



 

Mais le personnage le plus important de la série est celui auquel on ne s’attendait guère au départ. De la même manière que Susan Richard sera le personnage emblématique du cycle de John Byrne sur Les Quatre Fantastiques (c’est durant cette période qu’elle abandonnera le nom d’Invisible Girl pour adopté celui d’Invisible Woman), Heather MacHudson devient celui de La Division Alpha. Épouse de James, on apprend très vite qu’elle joua un rôle prépondérant dans la création du Département H, dans la lutte de Logan pour retrouver son humanité et dans la reformation de la Division Alpha au début de la série. En retrait dans les premiers épisodes (même si on découvre vite son audace et son lien avec Shaman), elle prendra une place majeure dans l’équipe. Grâce à sa franchise, son écoute et son courage dans n’importe quelle situation (Alpha Flight #14Biology Class), elle en deviendra le leader naturel après la mort de son mari alors même qu’elle ne dispose d’aucun super-pouvoirs. On regrettera alors sa décision, compréhensible, de reprendre le costume de Vindicator par la suite. Un événement arrivant après le départ de John Byrne et découlant d’une volonté de faire de l’équipe quelque chose de plus classique.

 


Après un peu plus de deux ans
en effet, le scénariste et dessinateur, quitte la série en plein milieu d’une aventure échangeant, de manière concerté, sa série avec celle de Bill Mantlo à savoir The Incredible Hulk. Mais fatigué de l’ingérence de la politique éditoriale de Jim Shooter (voir ainsi les événements de Secret Wars II perturber l’une des histoires de la série), il n’y restera que sept épisodes et quittera Marvel quelques temps après pour rejoindre DC Comics et créer la nouvelle version de Superman. La Division Alpha, elle, continuera son bonhomme de chemin jusqu’au numéro 130 et verra passer quelques jeunes talents tels que Mike Mignola et Jim Lee. Si Marvel a tenté par la suite de relancer plusieurs fois la série et que ces personnages sont régulièrement présents (on a pu les voir récemment au côté de Captain Marvel), ce sont indéniablement ces 28 premiers épisodes qui restent aujourd’hui dans toutes les mémoires de vieux lecteurs.

 

Équipe et série atypique encore aujourd’hui, La Division Alpha est un cas rare d’œuvre portée et ne pouvant réellement exister au-delà de son créateur et de son époque. Témoignage d’un temps où John Byrne était la plus grande star de l’industrie, elle reste à la fois son petit canard boiteux personnel tout en étant l’une des créations les plus appréciées de ses fans et un laboratoire d’expérimentation très important pour son créateur.

 



 

¹ L’épisode est publié dans le cadre du Assistant Editor’s Month qui propose souvent une approche humoristique.

² Et avec en guest-star, Ben Grimm alias The Thing.

³ Qui est, avec les X-Men, l’équipe la plus liée à la Division Alpha. On retrouve bon nombre de personnages des Quatre Fantastiques dans la série (le Super-Skrull, Namor, Diablo) et Sasquatch assistera à l’un des plus terribles drames qu’a connu l’équipe, la fausse-couche de Susans Richards.

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