lundi 31 mai 2021

Star Trek : Deep Space Nine - 8ème partie : Au delà des étoiles

 



« You are the dreamer, . . . and the dream. »

 

Benny Russel (Avery Brooks) vit à New-York dans les années 1950. Dans son entourage figure Willie Hawkins (Michael Dorn) un joueur de base-ball en pleine gloire chez les Yankees et le jeune Jimmy (Cirroc Lofton) qui vit de larcins et de petites combines. Ancien soldat, Benny est aujourd’hui fiancée à Cassie (Penny Johnson) qui rêve de reprendre avec Ben le restaurant de sa patronne. Mais ce dernier a déjà un véritable métier, il est écrivain et plus spécifiquement écrivain de science-fiction pour le magazine Incredible Tales édité par Douglas Pabst (René Auberjonois) et auquel collaborent également Albert Macklin (Colm Meaney), Herbert Rossoff (Armin Shimerman) ainsi que le couple Julius et Kay Eaton (Alexander Siddig et Nana Visitor). Cette petite bande souffre de la gloire de la revue Galaxy (avec ses auteurs tels que Robert Heinlein, Ray Bradbury et Theodore Sturgeon) mais est toujours prompte à sortir ses tripes pour écrire de nouvelles histoires sur la base des dessins de Roy Ritterhouse (J.G Hertzler). Et justement voila que ce dernier propose le dessin d’une station spatiale qui inspire à Benny Russel la nouvelle Deep Space Nine racontant les aventures du capitaine Benjamin Sisko et de son équipe située au XXIVème siècle. Pour Benny Deep Space Nine est son meilleur travail, pour ses collègues il s’agit d’une remarquable histoire de science-fiction mais pour son éditeur et pour le propriétaire de Incredible Tales, il est hors de question de la publier en l’état.

Parce que le capitaine Sisko, tout comme Benny Russel, est noir et ça dans l’Amérique des années 50 cela est inenvisageable.

 

La première version du script de Far Beyond the Stars est écrite par Marc Scott Zicree et met en avant le personnage de Jake Sisko qui, plongé dans la Terre des années 50, rencontre un groupe d’écrivain de science-fiction. Une classique aventure de voyage de la temps mais dont la fin révèle que Jake est en fait victime de l’illusion d’un alien cherchant à comprendre l’humanité. Ira Steven Behr est peu convaincu par le traitement et le retournement de situation final qu’il juge trop facile et le script est mis de coté pendant quelques mois, le temps de la maturation.

Aimant l’idée de faire côtoyer les personnages de Star Trek avec des figures tel que Henry Kuttner, C.L. Moore ou Isaac Asimov, Behr va s’appuyer sur cette base pour créer une histoire bien plus ambitieuse dans la lignée du double épisode de la troisième saison, Past Tense, qui voit Benjamin Sisko, Jadzia Dax et Julian Bashir se retrouver dans le San Francisco de 2024. Une période sombre durant laquelle une élite aisée vit confortablement tandis que la majorité de la population est pauvre, sans emploi, violentés par les forces de polices et loge dans des ghettos. Qu’elle imagination ces auteurs de science-fiction… Par la force des choses Sisko prendra l’identité d’un homme considéré par l’histoire future comme le leader d’un mouvement de révolte dont la répression sanglante marquera l’opinion et contribuera par la suite à mettre fin à cet état de fait. Pour le showrunner, le voyage dans le temps est donc le moyen idéal pour parler frontalement de sujet sociaux dans une série qui use généralement de la métaphore. Far Beyond the Stars a donc tout le potentiel pour s’inscrire dans ce registre et le déclic s’opère quand on décide de centrer l’histoire non plus sur Jake mais sur Benjamin Sisko.





En effet, au milieu de cette sixième saison, le personnage principal de Star Trek : Deep Space Nine a effectué un intense voyage. Capitaine d’une station spatiale au cœur de tous les intérêts de la galaxie et première ligne de front face à un puissant ennemi, il est, également devenu une figure religieuse pour tout un peuple. Un rôle qui a pris de plus en plus d’importance et qui lui fait mettre régulièrement sa vie en danger. Ainsi suite à la découverte des ruines d’une ancienne cité Bajorienne, dans Rapture (5.10), Sisko fut sujet à des visions si intense qu’elles lui provoquèrent une tumeur au cerveau. Malgré cela, il refusa l’intervention chirurgicale afin de pouvoir recevoir ces informations destinée, selon lui, à aider Bajor dans le futur. Ce n’est que par l’intervention de son fils Jake, qui prit sur lui la responsabilité de demander au docteur Bashir de procéder à l’opération, qu’il pu être sauvé. Aujourd’hui, malgré la reconquête de Deep Space Nine par Starfleet, le conflit avec le Dominion est toujours aussi intense et meurtrier. C’est donc un capitaine Sisko sous pression qui apprend le décès d’un ami, annonce qui va agir comme une étincelle allumant un gigantesque incendie.

Revenons à la production de Far Beyond the Stars qui se positionne alors dans le sillage de Rapture et de Past Tense. Soumis à un grand stress et ayant été victime de graves problèmes cérébraux, Benjamin Sisko est sujet à un voyage qui va le plonger dans le passé et le confronter aux conditions de l’époque. Mais Ira Steven Behr et son équipe ne veulent pas d’une resucée des précédents épisodes sus-cités, ils veulent aller bien plus loin. L’épisode doit être à la fois l’occasion pour le personnage de faire le point sur sa situation mais également être une histoire indépendante qui marque les esprits. L’idée initiale de faire intervenir des auteurs de fictions est conservée mais pour les besoin de l’épisode, on décide néanmoins de créer des personnages fictifs calqués sur des écrivains célèbres. Albert Macklin nous rappelle Isaac Asimov, Herbert Rossoff est en partie basé sur Harlan Ellison enfin Julius et Kay Eaton renvoient au couple formé par les écrivains Henry Kuttner et Catherine Louise Moore. D’ailleurs, comme cette dernière, Kay utilise un pseudonyme (K.C. Hunter) pour signer ses histoires et cacher aux lecteurs le fait qu’elle soit une femme.





Par le biais de ces personnages et en racontant le quotidien d’une salle de rédaction d’une revue de science-fiction, Far Beyond the Stars va permettre à Behr et son équipe de rendre hommage à des personnes sans qui Star Trek n’existerait tout simplement pas. On y voit ainsi l’émulation créative entre les différents écrivains et dessinateurs qui donne naissance aux histoires. Surtout l’épisode va devenir une réflexion autour du pouvoir de l’imaginaire suite à un choix narratif audacieux. En effet, si l’histoire débute avec le capitaine Sisko en proie à des hallucinations puis soumis à un examen médical, Far Beyond the Stars va brutalement changer de point de vue et faire de Benny Russel le personnage principal de l’épisode. Passé le générique, nous ne sommes donc plus face à un personnage connu qui se retrouve dans le passé et dans la peau d’un autre mais bel et bien face à des nouveaux personnages, des nouveaux lieux, une époque différente et une nouvelle histoire. Celle d’un écrivain de science-fiction imaginant, pour les besoins d’une revue, les aventures de gens vivant sur une station spatiale. En fait c’est comme si l’ensemble du casting de DS9 se retrouvait à l’occasion d’une nouvelle série.

 

 



Ce changement de paradigme est rafraîchissant pour les spectateurs et les acteurs, il est également drôle par moment (par exemple quand K.C Hunter, interprété par Nana Visitor, lis l’histoire de Ben et trouve que le personnage de Kira Nerys est excellent) mais surtout totalement vertigineux dès lors que cette création devient un enjeu vital pour Benny Russel. En effet, et c’est probablement ce qui fait de Far Beyond the Stars un authentique chef d’oeuvre télévisuel, la fiction Deep Space Nine tout aussi excellente qu’elle soit ne peut être publiée en l’état parce que le Capitaine Sisko est noir. Si l’intolérance sous toutes ses formes et le racisme en particulier sont des thèmes largement exploités par la série, ils le sont sous le filtre de la métaphore en utilisant, par exemple, des histoires de vie et les conflits de différentes races extra-terrestres. Car dans son approche positive de la science-fiction, la société humaine de Star Trek a pu dépasser et résoudre ces problèmes. En plaçant son histoire dans un contexte très spécifique et avec un tel personnage, les scénaristes ne pouvaient faire abstraction de la ségrégation de la société américaine des années 50. Non seulement ils ne l’occultent pas mais cette question se retrouve au centre des enjeux dramatiques. C’est ce mélange entre la description frontale (faisant fi du vocable policée de la série, le mot « nègre » est ici employé par divers personnages) d’une société raciste tout ce qu’il y a de plus réelle et entre un questionnement profond sur le pouvoir de la fiction sur l’individu et la société, cela de manière intemporel, qui fait de Far Beyond the Stars l’une des meilleures histoires non seulement de Star Trek mais tout simplement de la science-fiction en général.

 

"Call anybody you want, they can’t do anything to me, not any more, and nor can any of you. I am a Human being, dammit! You can deny me all you want but you can’t deny Ben Sisko – He exists! That future, that space station, all those people – they exist in here! In my mind. I created it. And everyone of you knew it, you read it. It’s here. Do you hear what I’m telling you? You can pulp a story but you cannot destroy an idea, don’t you understand, that’s ancient knowledge, you cannot destroy an idea. That future – I created it, and it’s real! Don’t you understand? It is real. I created it. And it’s real! IT’S REAL! Oh God! " - Benny Russel

 

Parce qu’elle nous parle de ces liens puissant entre les membres de la race humaine et cela à travers le temps et l’espace, Avery Brooks apparaît comme le choix le plus évident pour la mettre en scène. Parmi tous les épisodes qu’il réalisa pour la série (Tribunal, The Abandoned, Fascination, Improbable Cause, Rejoined, Body Parts, Ties of Blood and Water, The Dogs of War), celui-ci est sans conteste son meilleur épisode. Malgré la difficulté d’être à la fois devant et derrière la caméra, il y avait la volonté de mettre en scène l’histoire d’un personnage avec lequel il a beaucoup de point commun. Il y a d’une part la conscience profonde de leur statut d’homme noir dans la société en général et dans leur propre métier (rappelons qu’Avery Brooks est le premier acteur noir en tête du casting d’une série depuis 1973) et il y a d’autre part les professions créatrices qu’ils exercent (l’appartement de Benny Russell nous montre qu’il est également musicien, profession d’Avery Brooks en plus de son métier d’acteur). Meilleur épisode en tant que réalisateur mais également en tant qu’acteur. Jamais la sensibilité de Brooks (et par delà celle de Sisko) n’avait été autant prégnante que ce soit dans le quotidien de Benny composé de moments touchants au restaurant de sa fiancée et de brimade policière dans la rue que dans un milieu professionnel qui dissimule ses créateurs noirs et ses créatrices aux yeux du public.

 


 


A ce titre, l’épisode se montre ingénieux dans sa manière de ne jamais rabaisser le caractère populaire de la création (des histoires de science-fiction) tout en montrant bien qu’il existe une hiérarchisation aux yeux de la critique et des éditeurs. En citant W.E.B Dubois, Zora Neale Hurston ou bien encore Ralph Ellison pour défendre sa présence lors d’une séance photo de l’équipe rédactionnelle, Benny Russell se voit répondre que ces écrivans sont visibles du fait d’un lectorat considéré comme une élite intellectuelle et politiquement ouverte. La science-fiction étant un genre populaire, il est hors de question d’aborder ce type de fiction via une approche estimée comme militante. Dés lors, Far Beyond the Stars va s’opposer à cette explication hypocrite et méprisante (et toujours d’actualité) et démontrer par son histoire que la science-fiction et l’art populaire sont au contraire des terreaux fondamentaux dans l’évolution des mentalités. Tant bien même Benny Russell se heurtera à un mur qui le détruira physiquement puis psychiquement, son acte de résistance créatrice portera ses fruits et verra s’interconnecter voire se répondre auteurs (qu’ils soient réels ou fictionnels) et créations par delà le temps et les époques. Vertigineuse dans ses implications tout en évitant soigneusement le piège qui consiste à faire douter le spectateur de la réalité de la série qu’il suit depuis plusieurs années, Far Beyond the Stars nous interroge sur notre propre rôle dans son histoire. Nous-mêmes somme les spectateurs d’une fiction à l’intérieur d’une autre, une fiction ayant influencée des centaines de strates de la société à travers les décennies, une fiction qui nous montra qu’un futur pacifique portée par la science et la découverte est possible, une fiction qui servit de modèle à des milliers de personnes qui suivirent ces enseignements et les transmirent à plus de gens à travers le temps… et, peut-être, au-delà des étoiles.

 

 

For all we know, at this very moment, somewhere far beyond all those distant stars, Benny Russell is dreaming of us. - Benjamin Sisko

 

 

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